jueves, 21 de enero de 2016

La première violette

LA PREMIÈRE VIOLETTE


Saumur, le 5 avril 1946

À Mlle. Marie-Madeleine Kilbert

MANUEL GARCÍA SESMA

         L´hiver 1945-46 en Anjou fut spécialement morne et nébuleux. On aurait cru habiter une région côtière du Nord. Pendant le mois de Février surtout, le soleil ne se montra pas un seul jour. J´étais marri et énervé. Cela me rendit même malade. Où se cachait-il, le soleil d´Espagne…?
         Enfin le temps changea subitement dans la dernière semaine de Mars. Un soleil flambant fit son apparition. Il commença même à faire une chaleur suffocante, hors de saison. Cela détermina brusquement l´éclosion de printemps. Du jour au lendemanin la nature se transforma.
         Les arbres se couvrirent de bougeons et les premières fleurs ouvrirent leurs corolles. Alors je commençais à fréquenter à Saumur le Jardin des Plantes. C´etait ma promenade favorite à la saison fleurie. Les quelques jours de soleil brûlant suffirent à changer l´aspect du parc. Il commença lui aussi à se parer avec coquetterie de ses atours les plus élégants. Ce n´était pas encore sa toilette splendide de l´été, mais une sorte de pimpant déshabillé.
         Les massifs de l´entrée, couverts de petites “viola cornuta”, de grandes pensées fascination et de tulipes roses et blanches s´irisaient sous les rayons du soleil, comme les rosaces d´une cathédrale.
         Les plates-bandes, sillonnées de giroflées rouges et jaunes, de myosotis et d´herbes de la Trinité, brodaient les rebords des pelouses verdissantes comme ceux de la jupe d´une auvergnate.
         Et au fond de la partie basse du jardin, des rhododendrons, des aucubas et des camélias étendaient leurs bras fleurissants comme des candélabres d´améthyste, de rubis et d´opale.
         Les premiers boutons d´or et paquerettes émaillaient les boulingrias comme des perles.
         Et les premières grappes de lilas parfumaient l´air comme des encensoirs. J´aime passionnément les fleurs et j´en aurait cueilli de bon gré plus d´une fois. Mais des écritaux de la Municipalé prévoyant cette sorte de tentations, prévenait à chaque pas les promeneurs: “Défense de cueillir des fleurs.”
         C´est normal: les fleurs des jardins publics appartiennent à tout le monde, donc à personne.
         Toutefois il y a un printemps de petites fleurs que l´on peut cueillir un peu partout, sans transgresser les ordonnances municipales. Par exemple, les violettes. J´affectionne spécialement ces fleurs à cause de leur couleur et de leur parfum, de leur petitesse et de leur symbolisme. La violette est l´emblème de la modestie. Elle l´est aussi pour les amants l´emblème de l´amour caché. La violette veut dire dans leur langage: “qu´on ignore notre amour!. À quoi bon afficher ses plus chers et intimes sentiments…?
         Les violettes poussent discrètement partout: aux prairies et au long des haies, au pied des vieux murs, dans les buissons et les bois, au fond des ravins et aux bords des chemins. Aussi en me promenant solitairement au Jardin des Plantes, une de ces premières après-midi du printemps 1946, comme j´étais soudain saisi d´un vif désir de cueillir des fleurs, je me mis à chercher des violettes dans les talus attenants au Clos Coutard. Mais à ma grande surprise et désillusion, je n´en trouvai pas une. Ni là ni dans le reste du parc. Comment! Serait-il posible que, dans tout le Jardin des Plantes, une seule violette n´eût pas encore poussé…?
         Déjà je desesperáis d´en découvrir, quand au creux d´une pelouse déclive de la terrasse supérieure, j´aperçus une jeune fille. Elle était assise sur le gazon; à l´ombre d´un grand marronier, en train d´étudier. C´était une élève du Collège Yolande d´Anjou: une des plus folies collégiennes de Saumur. Ce n´était pas la première fois que je la rencontrai et qu´elle attirait mon attention; mais en la regardant à cette ocasión, dans le cadre éclatant du Jardin, je la trouvai plus charmante que jamais. Toutes les fleurs et les couleurs du parc paraient harmonieusement sa silhoutte gracieuse et délicate. Elle portait une jupe bleue myosotis et une jaquette blanche rhododendron. Sur ses joues fleurissaient des camélias roses et dans ses yeux, des pensées fascination, Ses mains étaient des fleurs de laurier teint et ses cheveux, des gerbes de giroflées. Son buste se dressait comme une tulipe, sa bouche était un grain d´acucuba et parfumait l´air comme un lilas.
En la surprenant sous ce décor, ma vue se réjouit, ma fantaisie exulta et mon coeur bondit et s´exclama:
         -Mais la voilà, la première violette du printemps…!”
         Naturellement, après cette charmante découverte, je ne poursuivis plus mes recherches. Où aurais-je pu trouver ailleurs et aspirer ce soir un bouquet de violettes plus frais et plus pimpant…?


No hay comentarios:

Publicar un comentario